Un passage à travers l’histoire

Le corridor du Hexi, bien plus qu’un simple passage géographique, est le témoin d’échanges entre la Chine et le reste du monde. Devenu un site attractif sur toute sa longueur, il incarne aujourd’hui encore le souffle d’une histoire vivante, celle d’un carrefour où se sont croisés civilisations, ambitions et espoirs.
Il s’agit d’un passage qui relie la Chine au monde depuis plus de deux millénaires. Un corridor où le vent hurle et le sable danse toute l’année, où les voyageurs cheminaient autrefois à dos de chameaux, chargés de ballots de soie et de parchemins sacrés. C’était l’artère de trésors convoités et d’enseignements bouddhiques, un carrefour pour les rêveurs et les fidèles comme pour les aventuriers : des âmes attirées par l’inconnu. Aujourd’hui, elle reste un parcours d’émerveillement, où l’on vient admirer le pouvoir qu’a la nature de sculpter la terre, à l’image du désir indomptable de l’humanité de façonner l’histoire. Ce passage, connu sous le nom de Corridor du Hexi, est flanqué des imposantes montagnes Qilian au sud et de déserts inflexibles au nord. Situé à l’intérieur des frontières de l’actuelle province du Gansu, dans le nord-ouest de la Chine, il serpente à travers une chaîne d’oasis. Fragiles mais vitales, elles existent grâce aux montagnes adjacentes dont le nom, Qilian, signifie « ciel ». Leurs pics vertigineux produisent les eaux de fonte vivifiantes qui soutient quelques points vie sur cette terre aride.

À l’ouest du fleuve Jaune
Hexi signifie « à l’ouest du fleuve Jaune ». Car en effet, pour un ancien voyageur venant du cœur de la Chine, le voyage vers l’ouest à travers le corridor commençait par la traversée du fleuve Jaune. Pourtant dans l’autre sens, un voyageur venant d’Asie occidentale ou de la Méditerranée, après avoir parcouru les 1 200 kilomètres du corridor, pouvait voir par-dessus le fleuve les vastes plaines de la Chine centrale et finalement Chang’an, la glorieuse capitale de la dynastie Tang (618-907) et l’actuelle Xi’an - province du Shaanxi.
Le corridor du Hexi était une fenêtre par laquelle la Chine et le monde s’ouvraient l’un à l’autre. Ce tronçon vital de l’ancienne route de la soie est petit à petit devenu un canal qui voit encore transiter art, culture et commerce.

Histoires de vies remarquables
En 139 av. J.-C., le puissant empereur Wudi de la dynastie Han (206 av. J.-C. - 220 après J.-C.) ordonna un voyage vers l’ouest, dirigé par le missionnaire et aventurier Zhang Qian. L’escadron avait pour mission de trouver des alliés politiques dans la lutte contre les Xiongnu, pillards des steppes du nord qui avaient pris le contrôle du corridor. Zhang ne revint qu’en 126 av J.-C. Bien que son expédition n’ait pas permis d’alliances politiques immédiates, le récit de ce qu’il vit attira l’attention de l’empereur Wudi sur le pays.
À cette époque, les campagnes militaires des Han contre les Xiongnu battaient leur plein, et ce jusqu’en 121 av. J.-C., à l’heure de la victoire décisive de Huo Qubing. Ce jeune général repoussa l’ennemi jusqu’à Dunhuang, à l’extrémité ouest du corridor. Cette prouesse fit de Dunhuang un solide premier avant-poste militaire au service des Han. Dans les décennies qui suivirent, d’autres villes-oasis situées le long du corridor furent utilisées comme points stratégiques similaires, comme Jiuquan, Zhangye et Wuwei.
Entre 385 et 401, Kumarajiva (344-413), un moine bouddhiste de l’ancien royaume de Kucha, dans l’actuelle préfecture d’Aksu de la région autonome ouïgoure du Xinjiang, séjourna à Wuwei. La ville était alors connue sous le nom de Liangzhou. Au cours de cette période historique riche en transformations, l’homme y a développé l’art de la traduction des écritures bouddhiques. Son travail atteignit un équilibre rare entre beauté et fidélité, façonnant le bouddhisme chinois pour les générations à venir.
Ni Zhang ni Kumarajiva n’avaient pour destination le corridor du Hexi. Cependant, le destin les a retenus, indépendamment de leur volonté et bien plus longtemps qu’ils ne l’avaient prévu. Deux individus, deux histoires et un même résultat : Hexi a marqué leurs vies et celles de beaucoup d’autres, de manière indélébile.

À voir absolument
Les vestiges de la Grande Muraille subsistent, tout comme les ruines érodées des anciens cols. Leur existence a inspiré les poètes pendant des siècles, façonnant une période de romantisme unique dans la poésie chinoise. Sous la dynastie Han, on écrivait sur des feuilles de bambou ou de bois, qu’on reliait à la ficelle pour former des livres et des documents. Fait remarquable, plus de la moitié des feuillets Han découverts à ce jour proviennent du corridor du Hexi.
Aujourd’hui, Dunhuang attire des millions de touristes chaque année. Les grottes de Mogao sont connues dans le monde entier. Creusées dans les falaises de grès à la lisière du désert, ces splendides grottes ornées de fresques témoignent de la diffusion de l’art bouddhique. On le constate tout le long du corridor, alors même qu’il était soumis aux influences profondes de l’esthétique et de la philosophie chinoises. Le corridor du Hexi reste un creuset de traditions millénaires, embrassées par une multitude de peuples, sur sa vaste étendue et au-delà.
Le climat aride de la région, où les précipitations annuelles ne dépassent pas 80 mm dans de nombreuses zones, a rendu la vie humaine difficile. Aujourd’hui, on voit surtout qu’il a contribué à préserver une belle part d’histoire. Enchevêtrée dans la trame de l’histoire de la Chine, le riche passé millénaire de ce long corridor est un outil important de compréhension du pays.
Le corridor du Hexi continue de murmurer les récits des hommes qui l’ont foulé. Chaque oasis, chaque ruine, chaque fresque raconte une facette du dialogue millénaire entre l’Orient et l’Occident. Bien que le temps ait emporté bien des voix, le vent qui s’y engouffre semble encore porter l’écho des pas de Zhang Qian, de Kumarajiva et de tant d’autres. Le lieu n’est pas seulement une route ancienne : c’est une mémoire sculptée dans le sable et le roc, indissociable de l’âme chinoise et de l’histoire du monde.
Avec la participation de Tong Yunshan.