L’harmonie sociale est dans les détails
La relation entre les marchands anciens et les artisans a laissé un étonnant héritage artistique.
Pour Kuai Zhenghua, un habitant de Huangshan dans la province de l’Anhui, la restauration de sculptures sur bois commence par un travail d’enquête et requiert de l’expérience, de l’intuition ainsi que de l’imagination.
Alors qu’il restaurait une pièce où se voyaient les traces d’un éléphant participant à des travaux agricoles, il lui arriva un jour de comprendre qu’il s’agissait de l’histoire du chef d’État légendaire Shun, censé avoir vécu il y a plus de 4 000 ans.
M. Kuai, 62 ans, hériter au niveau national du patrimoine culturel immatériel en matière de sculpture sur bois selon le style de Huizhou, commente : « L’histoire veut que l’obéissance filiale manifestée par Shun sensibilise les cieux et voie ses travaux agricoles exécutés par des éléphants à sa place. Autre chef d’État légendaire, Yao, qui serait le prédécesseur de Shun, apprend l’histoire et rend visite à Shun pour s’assurer que le personnage qui doit lui succéder a les qualités requises pour assumer les responsabilités du trône, avant de transmettre à Shun la parure du pouvoir.
« En dépit de nombreuses parties manquantes, des indices restent. Si la tête de plusieurs personnages a disparu, on peut encore voir leurs pieds et leurs habits. Les hommes ont des pieds plus grands que ceux des femmes. Les agriculteurs ne portent pas de grandes robes, contrairement aux fonctionnaires. Les costumes des femmes ont souvent des rubans. Du fait que ces sculptures représentent généralement des légendes, de tels indices vous permettent de deviner les histoires auxquelles ils renvoient ».
Les pièces sur lesquelles M. Kuai travaille depuis plus de 40 ans ont jadis orné les bâtiments de Huizhou, une préfecture historique, à cheval sur la frontière entre la province de l’Anhui au sud et celle du Jiangxi au nord, couvrant par ailleurs la région du Huangshan d’aujourd’hui.
Les sculptures sur pierre, les sculptures sur brique et les sculptures sur bois de Huizhou, collectivement dénommées les trois sculptures, sont des composantes intégrantes de l’architecture de Huizhou depuis la dynastie Ming (1368-1644). Les différents types de sculptures sont coordonnés les uns avec les autres et utilisés dans différentes parties des bâtiments pour donner lieu au décor élégant et raffiné qui fait la réputation de l’architecture de Huizhou, explique Chen Zheng, secrétaire général adjoint de l’association de recherche sur le patrimoine culturel immatériel de Huangshan.
Les bâtiments historiques sont souvent nichés dans des zones montagneuses. Les bâtiments résidentiels, qui constituent l’une des plus importantes typologies, sont entourés de murs et ont une allure de simplicité vus de dehors, mais se révèlent ouverts, spacieux et finement décorés à l’intérieur.
Selon M. Chen, la popularité des trois types de sculptures est étroitement liée à l’ascension des marchands de Huizhou, une classe réputée pour son honnêteté et sa moralité pendant les dynasties Ming et Qing (1644-1911).
Le relief montagneux de Huizhou offrant peu de zones plates propices à l’agriculture, les jeunes quittaient souvent la région pour gagner leur pain. Quand ils avaient réussi leur vie et désiraient construire une maison pour leurs vieux jours, le manque de terrain ne leur permettait pas de bâtir de grandes propriétés, les obligeant à se rabattre sur des décorations luxueuses pour afficher leur prospérité durement gagnée.
La sculpture sur bois est généralement considérée comme la plus importante des trois spécialités. « Les gens disent souvent que ‘même si les murs tombent, les maisons de Huizhou resteront debout’, car leur structure en bois repose sur des joints sunmao (à tenon et mortaise) », souligne M. Chen. « Voilà pourquoi, dans la décoration intérieure, les poutres en bois et le treillis des fenêtres sont les premiers choix, et c’est là qu’intervient la sculpture sur bois ».
Les structures sur brique, caractéristiques des éléments décoratifs de l’entrée des habitations anciennes, sont significatives du standing des propriétaires, précise-t-il, tandis que les sculptures sur pierre, qui se trouvent généralement sur la base des colonnes, sont plus fréquentes dans les temples ancestraux et sur les paifang – les voûtes du souvenir.
Chengzhi Hall, dans le district de Yixian à Huangshan, est un exemple classique de l’architecture de Huizhou. L’ancienne résidence de Wang Dinggui, un marchand de sel sous la dynastie Qing, est réputée pour ses remarquables sculptures sur bois.
L’une des poutres dans la salle principale est ornée d’une sculpture représentant une réception donnée par un prince de la dynastie Tang (618-907) en présence de nombreux fonctionnaires. La sculpture est complexe et tous les personnages sont méticuleusement modelés, notamment un domestique infusant du thé dans un coin, et un autre dans un autre coin nettoyant les oreilles d’un fonctionnaire.
Les sculptures sur pierre du temple ancestral de la famille Wu dans le Shexian, un autre district, représentent 10 vues célèbres du Lac de l’Ouest à Hangzhou, dans la province du Zhejiang, signale M. Chen. Selon la légende, un membre de la famille étant devenu prospère en faisant des affaires à Hangzhou a voulu satisfaire le désir de sa mère âgée, à savoir : être témoin de sa réussite ; il recruta donc des artisans qualifiés pour reproduire la beauté panoramique de Hangzhou sur les panneaux de calcaire du temple ancestral, permettant ainsi à sa mère de vivre la splendeur de la ville sans entreprendre le pénible voyage pour s’y rendre.
Les magnifiques sculptures sont le fruit du travail des artisans de Huizhou, un groupe réputé sous les dynasties Ming et Qing pour son savoir-faire dans diverses spécialités artistiques, notamment la sculpture et l’impression au bloc de bois.
Le succès de ces artisans était lié au soutien des marchands de Huizhou, qui ont consacré une bonne partie de leur richesse à l’achat des meilleurs matériaux. Tout le temps nécessaire leur était donné pour bâtir les splendides résidences dans lesquelles les marchands prévoyaient de se retirer. En conséquence, conclut M. Chen, les artisans avaient à la fois le temps et l’argent pour travailler minutieusement et satisfaire leurs clients.






















