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De quoi alimenter les cerveaux

Par Li Hongyang(China Daily) 24-11-2017

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De quoi alimenter les cerveaux

Déjeuner au Lancet Barbecue, qui accorde des réductions aux clients auteurs d’articles publiés dans des revues universitaires. [Wang Zhuangfei/China Daily]

Un restaurant de grillades à Pékin est devenu la table de choix de la communauté scientifique de la capitale.

En publiant une étude dans une revue scientifique, Feng Shangqing espérait faire avancer sa carrière médicale. Mais ce ne fut pas la seule retombée : elle gagna aussi un bon de réduction dans un restaurant de grillades de Pékin.

La docteure, diplômée de la Fourth Military Medical University in Xi'an (quatrième faculté de médecine militaire de Xi'an), dans la province du Shaanxi, s'est vu attribuer un rabais de 84 yuan (11 euros) dans un grill de Pékin très en vogue auprès de la profession médicale depuis l'instauration du « facteur d'impact » d'une publication, qui permet de mesurer la fréquence à laquelle des articles sont cités dans une année donnée. Le rabais de 84 yuan correspond à un multiple du facteur d'impact de l'article évalué à 8,4 – ce qui est considéré comme un bon résultat.

Selon les règles du restaurant, les scientifiques, les médecins et les sociologues ont droit à une réduction s'ils sont les auteurs d'articles récemment publiés dans des revues couvertes par des banques de données sur l'Internet telles que le Citation Index et le Social Sciences Citation Index. Le facteur d'impact de l'article est multiplié par 10 pour déterminer le montant du rabais, qui peut aller jusqu'à 30% de l'addition.

« J'adore la cuisine au barbecue et m'en régalais avec mes camarades de cours à la faculté de médecine », dit Feng Shangqing.

« C'était très agréable de partager nos joies et nos soucis en mangeant des grillades et en buvant de la bière. Il y avait beaucoup de stands de grillades dans les rues autour de la faculté et nous utilisions ce qu'on appelle la méthode du lu chuan (une façon de manger des kebabs directement sur la broche). Dès que j'ai vu l'offre promotionnelle du restaurant sur (la plateforme du réseau social) WeChat, j'ai décidé d'y aller et de profiter de mon article pour essayer la nourriture ».

Depuis que la promotion a commencé le 21 septembre, des centaines de clients ont fréquenté le restaurant dont l'enseigne, Liuyedao, est le nom chinois du Lancet, l'une des revues médicales grand public les plus influentes au monde, et qui est situé près de l'université Beijing Jiatong dans le district de Haidian.

L'établissement, d'une surface de seulement 90 mètres carrés, n'a de place que pour 12 tables. La salle, qui n'a pas de fenêtres, est éclairée par des lumières d'un jaune chaud et décorée de plantes en plastique d'un vert vif.

Aux périodes d'affluence, les clients attendent souvent une heure avant d'être assis et servis. En général, un convive sur quatre est quelqu'un qui a publié un article dans une grande revue universitaire mondiale.

Wang Jian, le propriétaire du restaurant, affirme qu'il ne se doutait nullement que la promotion rendrait son établissement célèbre dans la communauté scientifique de Pékin. Lui-même médecin, âgé de 29 ans et diplômé du Peking University Health Science Center, est originaire d'une localité où la tradition des grillades remonte à l'antiquité et il a toujours eu envie d'exploiter son propre restaurant à temps partiel.

« D'antiques peintures sur pierre montrent que les habitants de ma ville natale, Xuzhou dans la province du Jiangsu, ont commencé à manger des grillades pendant la dynastie des Han occidentaux (206 avant J.-C. – an 24 de notre ère), et bien que les restaurants de grillades soient légion à Pékin, je voulais faire connaître aux gens le barbecue à la mode de Xuzhou », explique-t-il.

Wang Jian persuada une ancienne camarade de cours, Cheng Si, de s'associer à lui, et 16 autres amis, des médecins pour la plupart, ont investi dans le restaurant.

Pour son activité à temps partiel, il a fait à coup sûr le bon choix, car les grillades sont l'un des plats incontournables de la table chinoise. L'an dernier, elles ont représenté 20% du marché national de la restauration, ne le cédant qu'au hot pot (fondue chinoise) comme plat le plus demandé du pays, selon un rapport du First Barbecue Industry Salon, un forum organisé par l'association culinaire chinoise.

Cheng Si, une docteure de 26 ans, et Wang Jian ont consacré beaucoup de temps à la recherche sur le principal ingrédient, la viande de chèvre. « Après avoir analysé la viande, nous avons découvert qu'elle contenait une substance appelée acide 4 méthylbenzoïque, un acide gras qui produit une saveur spéciale comme dans du mouton quand on la cuit au barbecue », confie la première.

Le restaurant a ouvert le 23 avril, après un mois de préparation et avec un investissement de plus d'un million de yuan. Il est devenu immédiatement si couru que les deux associés durent recruter un directeur à plein temps de façon à poursuivre leur carrière médicale.

L'enseigne fait en sorte que le restaurant attire de nombreux membres de la confrérie médicale de la capitale, dont certains sont reconnus comme faisant autorité dans toute un éventail de maladies, tandis que d'autres enseignent dans les grandes facultés de médecine. « Ils viennent tous pour soutenir notre affaire », avoue Wang Jian.

L'idée de la promotion a germé un soir du mois de juin lorsqu'un médecin du Peking University First Hospital invita un collègue dînant à une table voisine à prendre un verre avec lui. Son offre refusée, le médecin se leva et lança à tue-tête : « que les docteurs du PKU First Hospital se lèvent et trinquent avec moi ! ». Plus de la moitié des clients se mirent debout en levant leur verre.

L'épisode fit une telle impression sur Wang Jian que la promotion était née. « Au début, nous n'avons accordé de rabais qu'aux auteurs d'articles publiés dans le Lancet, puis nous avons étendu la promo à tous les articles repris par le Science Citation Index et le Social Sciences Citation Index pour permettre à un plus grand nombre de spécialistes et de chercheurs d'en bénéficier ».

Le lendemain de l'annonce de la promotion, 16 clients sont arrivés munis de copies des articles qu'ils avaient publiés dans des revues universitaires. À ce jour, le facteur d'impact le plus élevé est de 29,51, ce qui a valu à l'auteur une réduction de 295 yuan.

Cheng Si estime que le système de remise encourage les chercheurs à être plus productifs. « Si leur dur labeur leur vaut une reconnaissance inhabituelle comme celle-ci, cela rend les choses plus intéressantes ».

Quand Wang Jian expliqua la promotion sur WeChat, elle fit très vite réagir les internautes et attira plus de 100 000 pages vues dans l'heure qui suivit son affichage. La réaction qui déclencha le plus de « J'aime » indiquait, sur un ton à demi badin, que le restaurant allait devenir l'un des trois premiers instituts de recherche en Chine.

À cette fin, le restaurateur entend offrir à ses clients de quoi manger et alimenter les cerveaux. « Si nous les médecins, nous enrichissons notre savoir en matière de recherche avancée, nous réduirons les souffrances de nos patients. Nous envisageons d'accueillir au restaurant, entre les repas, des forums universitaires. Les professeurs et les chercheurs dans différentes branches de la profession médicale seront invités à y présenter des exposés ».

Tan Ning, directeur adjoint du service de cardiologie du Guangdong General Hospital à Guangzhou, dans la province du Guangdong, qui avait entendu parler du restaurant par un ami, y est allé à l'occasion d'une réunion à Pékin. « J'avais envie de voir à quoi ressemblait un restaurant de médecins et si j'y trouverais des choses particulières en rapport avec la médecine ».

Pour lui, ce fut une nuit riche en surprises car il y retrouva non seulement un de ses anciens étudiants, aujourd'hui médecin-chef, qu'il n'avait pas vu depuis une décennie, mais il y rencontra aussi le Dr William Summerskill, un membre de la direction de la rédaction du Lancet à Londres.

Ce dernier avait entendu parler du restaurant nommé d'après sa revue alors qu'il participait à une conférence à Pékin, et il décida de s'y rendre. « La cuisine est bonne et je trouve l'idée amusante », commente-t-il. « Les médecins et les étudiants en médecine dont des articles ont été publiés dans des revues y verront un encouragement qui pourrait contribuer à l'envie de produire un environnement universitaire encore meilleur en Chine ».

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