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La Chine et l’Europe peuvent répondre ensemble au repli protectionniste

Par Dominique de Villepin*(China Daily) 28-09-2018

La Chine et l’Europe peuvent répondre ensemble au repli protectionniste
Dominique de Villepin
Où que nous regardions, le libre-échange vit des jours difficiles. Nous assistons depuis plusieurs mois à un procès de l’ordre mondial contemporain d’une violence sans précédent, qui se décline sur plusieurs fronts : critique de la mondialisation culturelle, d’abord, avec le choc des identités ; hantise de la mondialisation politique, ensuite, avec l’enrayement des institutions multilatérales (ONU, OMC, COP21) ;

rejet de la mondialisation économique, enfin, dans la tentation protectionniste soufflant d’outre-Atlantique. Sur ce dernier sujet, nombreux sont les exemples de traités régionaux et internationaux dont les heures sont comptées ou la crédibilité compromise. Les membres de l’ALENA sont divisés, le CETA tarde à être ratifié, le partenariat trans-atlantique est au point mort quand le partenariat transpacifique est structurellement affaibli par le retrait américain. Seule l’Afrique s’efforce d’aller de l’avant avec la création d’une zone de libre échange continentale (ZLEC), sous la houlette de l’Union africaine, et la renégociation des accords de Cotonou.

Ma conviction, c’est que la stabilité de l’économie internationale est entre les mains des seules puissances capables de modérer les soubresauts d’une Amérique devenue imprévisible et impétueuse : parce que l’Union européenne et la Chine pèsent ensemble près d’un tiers du PIB planétaire, leur entente sera décisive pour infléchir la spirale destructrice que nous annoncent les replis successifs du commerce mondial. La Chine et l’Europe sont soumises à un défi conjoint, celui de la guerre commerciale et d’une spirale de représailles.

Le 20ème Sommet UE-Chine accueilli par Pékin, en juillet dernier, a ainsi permis de mettre en avant plusieurs objectifs communs. Premièrement, la Chine et l’Union européenne souhaitent répondre au risque de ralentissement en consolidant des relations économiques et commerciales qui font de la première la principale partenaire de la seconde avec plus de 570 milliards d’euros d’exportations. Deuxièmement, elles entendent réfléchir à des moyens concrets de faire collectivement face aux pressions protectionnistes des États-Unis qui, à défaut d’alternative, pourraient durablement assombrir les perspectives de la croissance mondiale. L’enjeu, pour chacune des parties, est d’anticiper un recul des échanges avec le partenaire américain et de compenser à long terme la baisse potentielle des exportations. Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’au-delà d’actions purement judiciaires, à l’instar des plaintes déposées à l’OMC, l’avenir du commerce mondial doit reposer sur des initiatives concertées, combinant la confiance des peuples, l’engagement des États et l’implication des sociétés civiles.

Nous avons besoin de structures et de projets adaptés à ce nouveau contexte. Sur le plan économique, la priorité est de résoudre un certain nombre d’incompréhensions ou d’angoisses mutuelles entre la Chine et l’Europe. Des deux côtés, les craintes sont légitimes. Des deux côtés, aussi, le potentiel des échanges financiers et commerciaux est un puissant levier de croissance. Je pense en particulier au projet de « nouvelles routes de la soie » auquel le Sénat a récemment consacré un rapport détaillé. Par-delà les appréhensions, ce projet d’investissement massif dans les infrastructures et les industries innovantes, telles que l’énergie, le numérique ou la santé, offrent aux entreprises chinoises et européennes l’occasion de travailler ensemble au développement de la zone eurasiatique. Les « nouvelles routes de la

soie » sont une chance inédite d’accroître les flux financiers croisés et de favoriser des projets communs sur des marchés tiers, à commencer par le continent africain dont les besoins ne cesseront d’augmenter.

Cela suppose un pilotage commun, des priorités partagées et des garde-fous contre les risques de dérives et de concurrence. Mais il nous faut également des lieux de discussion et de décisions collectives, au niveau national et européen, pour fluidifier les relations entre entreprises, s’assurer de la clarté des règles juridiques et nourrir la réflexion économique en matière de réciprocité, d’accès au marché public et de protection de la propriété intellectuelle. Au rang des grands sujets figurent également la stabilité financière sur la base d’un G3 entre les principales banques centrales (BCE, FED et Banque centrale de Chine) ainsi que la réponse à l’urgence climatique.

Le calendrier des mois à venir est favorable à l’impulsion d’une nouvelle politique euro-chinoise. A Bruxelles, l’imminence des élections européennes, en mai prochain, impose un débat clair et franc sur le renouvellement des relations économiques avec la Chine. A Pékin, la célébration du quarantième anniversaire des réformes de Deng Xiaoping offre un terrain propice à l’approfondissement de l’ouverture économique, dans un pays si sensible à l’histoire, aux symboles et au dialogue inscrit dans la durée. La Chine doit s’ouvrir davantage aux entreprises et aux investissements. Mais construisons d’abord les conditions d’un dialogue apaisé.

En France, nous pouvons nous appuyer sur des jalons majeurs de notre histoire commune, de la reconnaissance pionnière de la République populaire de Chine par le Général de Gaulle, en 1964, à la création, par Jacques Chirac, du partenariat stratégique global, en 2004. La nouvelle ère promue par le Président Xi Jinping pour son pays doit être l’occasion d’une nouvelle donne au sein des relations franco-chinoises et euro-chinoises dans l’esprit de la première visite à Pékin du Président Macron, en janvier dernier.

* L’auteur a été chef du gouvernement sous l’ancien président Jacques Chirac.

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