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Les nouvelles routes de la soie : nouveaux liens industriels ?

Par Joël Ruet*(China Daily) 28-09-2018

Les nouvelles routes de la soie : nouveaux liens industriels ?
Joël Ruet
Les « nouvelles routes de la soie » (NRS) entrent frontalement dans le débat public. Un premier état des lieux factuel s’impose au-delà du match des rhétoriques, et leurs opportunités sont à souligner par ces temps où souffle un vent de démondialisation. Une sorte de « solidarité objective » peut voir le jour autour des NRS chinoises, du moins avec l’Europe et l’Afrique.

De l’absence des radars à un débat raidi

Coordination de l’investissement avec 53 pays africains, initiative chinoise d’une banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, l’AIIB – dont la France est actionnaire – et qui a récemment annoncé son extension géographique à l’Afrique, son président

Jin Liqun, déclarant que routes de la soie et l’AIIB sont les « deux moteurs d’un même avion » même s’il a pris soin de préciser que l’AIIB apporterait une « gouvernance » : les NRS arrivent en bloc. Une question se fait jour en Occident : ne seraient-elles pas le bras armé d’une vaste redéfinition de la mondialisation sur des « caractéristiques chinoises » ?

Débat que la Chine avait préempté dès sa présidence du G20 en 2016, imprimant à l’inverse à la Déclaration du Sommet de Hangzhou la volonté d’aller vers une mondialisation « plus inclusive » et sans interférences dans les politiques nationales. Si la vigilance s’impose comme d’ailleurs dans l’ensemble des relations internationales qui n’ont jamais été un dîner de gala, la « real-politique » suggère que la Chine dans sa phase actuelle de nécessaire transformation structurelle pâtirait plus que le reste du monde d’un déraillement ou péril en mer pour cause de gouvernance inégale.

Les routes de la soie, une réponse à des problèmes d’abord chinois

Deux verrous de la transformation chinoise, dynamiser la masse des provinces intérieures, et trouver des débouchés mondiaux non purement spéculatifs aux devises accumulées avaient jusqu’en 2013 résisté aux réformes : la délocalisation interne des entreprises côtières vers l’intérieur n’a jamais eu lieu, et il est vite apparu que l’achat massif d’actif réel par la Chine dans le monde aurait généré des nationalismes puissants en Occident. Il y avait en somme un problème de bouclage : l’investissement financier à l’étranger n’aidait que très peu à la réforme intérieure. Réalité crue : un dollar de réserve, s’il ne peut être changé en Yuan/RMB, ne sert à rien sur le territoire national ; les billions de réserves étaient un piège américain pour la Chine ; « notre monnaie, votre problème ».

Les NRS réalisent ce bouclage et leur acceptation mondiale est la planche de salut des réformes chinoises, rendant solidaires les trajectoires ; « nos réformes, votre relance », en quelque sorte.

En effet, on ne soulignera jamais trop que les nouvelles routes de la soie, ciblant à l’origine des pays frontaliers, et en général des investissements physiques nouveaux plutôt que des rachats, engendrent des flux transfrontaliers eux-mêmes physiques et nouveaux dont bénéficient les provinces intérieures : trains, routes, flux logistiques, relance locale et usines nouvelles. Les NRS sont la réponse à un problème d’abord chinois à 4 billions, le plus grand défi de toute l’histoire économique.

Des débuts encore modestes... pour de possibles avantages partagés

L’apprentissage est d’ailleurs graduel : le stock d’investissement chinois total à l’étranger (dont les NRS demeurent minoritaires) représente environ 10% de son PIB, contre plus de 50% pour le cas de la France et, fin décembre 2017, la Chine a elle-même émis des réglementations nouvelles très strictes sur les autorisations d’investissement à l’étranger pour ses firmes incitant à porter des projets nouveaux plutôt que de préempter des actifs existants. Or il y a une demande multilatérale : les présidences allemande (2017) puis argentine (2018) du G20 ont pris acte d’un monde où les échanges ralentissent, et où l’investissement peut devenir le pilier d’une phase renouvelée de mondialisation. Dans un tel monde, des NRS réussies deviennent incontournables, rare mécanisme à proposer une relance globale dans un monde de liquidités massives et de pénurie de projets réels.

Première zone d’impact concret, l’Afrique. Le sommet Chine-Afrique de début septembre, a promis 60 milliards de dollars de financements nouveaux sur trois ans, avec pour inflexion marquante la volonté d’équilibrage du commerce avec l’Afrique en lien avec les NRS. Il a vu 53+1 pays s’engager sur quatre mesures pour l’équilibrage du commerce : promouvoir les produits africains en Chine, établir 50 traités de facilitation du commerce – accompagnant en cela la signature en avril 2018 par les membres de l’Union Africaine d’une zone de libre-échange continentale –, création d’un fonds de financement des importations venues d’Afrique, extension quasi-continentale de la suppression de taxes sur 97% des produits aujourd’hui réservée aux « pays les moins avancés ».

Quand l’industrie se refonde

Second enjeu, l’avènement de la quatrième révolution industrielle. La Chine est à la

« frontière » technologique mondiale de la mobilité durable, de l’industrialisation du stockage des énergies et des matériaux nouveaux ; elle est déjà le laboratoire de la finance verte, et la seule partie du monde à se donner les moyens de sa souveraineté numérique face aux États-Unis. Pour nos entreprises il y a une opportunité historique de capitalisation sur la relation industrielle franco-chinoise et de l’étendre, la Chine ouvrant en échange son marché.

Il y aura un critère : la diffusion mondiale des capacités industrielles, et des emplois et la continuation de l’investissement mondial dans l’innovation globale. Dès la fin de la présidence d’Obama, son administration s’est préoccupée que le rattrapage chinois impulsé par l’État ne décourage l’innovation américaine. Mais le FMI a depuis publié des chiffres optimistes : la concurrence chinoise aurait servi d’aiguillon à la concurrence pour innover. La répartition et les formes de l’investissement au sein des NRS seront en tout cas les indicateurs de performance clés pour les industries innovantes et donc pour leur acceptation politique en France.

* L’auteur est président du centre de réflexion The Bridge Tank et spécialiste des économies émergentes.

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