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Énergie nucléaire : retour sur un partenariat historique

Par Hervé Machenaud*(China Daily) 28-09-2018

Énergie nucléaire : retour sur un partenariat historique
Hervé Machenaud
À la fin des années 70, vingt ans avant le retour de Hong Kong à la Chine, alors qu’il vient d’engager le pays dans la politique d’ouverture, Deng Xiaoping a un grand projet visionnaire. Il propose à son ami Lord Kadoorie, magnat de Hong Kong, président de la China Light & Power (CLP), de construire en Chine une centrale nucléaire qui alimentera Hong Kong. Ils créeront pour cela une société commune, la Guangdong Nuclear Power Joint-Venture Company (GNPJVC), dont CLP détiendra 25% mais achètera 70% de l’électricité produite, permettant de rembourser les emprunts en devises destinés à l’acquisition d’une technologie étrangère.

La France est choisie pour assister la Chine dans ce projet. Framatome fournira les équipements de l’îlot nucléaire, GEC, société britannique, habituel fournisseur de CLP, fournira les équipements de la salle des machines. Électricité de France (EDF) sera chargée de la coordination technique du projet.

Ce contrat est un pacte de confiance mutuelle entre la France et la Chine, entre EDF et GNPJVC. Au-delà de la formation des équipes de construction, de démarrage et d’exploitation, qui permettra à des dizaines d’ingénieurs chinois de séjourner en France, EDF est chargée du pilotage technique. EDF accepte de porter la responsabilité de bonne fin du projet. Le technical manager rend compte à la fois à Zan Yunlong, président de GNPJVC, et à EDF. Son rôle est d’aligner les intérêts.

Au printemps 1986, les ingénieurs français arrivent à Shenzhen, chargés de piloter l’ingénierie et les travaux. En face d’eux, GNPJVC a constitué une équipe d’une centaine d’ingénieurs chinois très qualifiés qui observent, contrôlent, questionnent. Après quelques mois, la directrice de cette équipe, Li Weiyin, brillant ingénieur et merveilleuse médiatrice, propose, approuvée par Zan Yunlong, d’associer son équipe à celle d’EDF. Ce geste est d’une très grande portée symbolique dans la Chine de l’époque : nous ne sommes plus sous surveillance mais associés, une integrated team.

La confiance est renforcée

Plus tard, EDF étudie les modifications qu’elle va introduire à Gravelines, la centrale de référence de Daya Bay. L’analyse du retour de dix ans d’expérience d’exploitation montre la nécessité de réaliser plus de cent modifications. Un débat s’instaure à l’intérieur d’EDF : doit-on fournir cette liste de modifications et à quel prix ? C’est le fruit d’un travail considérable, le cœur du know-how d’EDF, il n’a pas de prix. Mais peut-on laisser Daya Bay démarrer sans ces modifications alors qu’il serait facile de les intégrer pendant la construction ? EDF décide de mettre cette liste à la disposition de GNPJVC qui appréciera ce geste à sa juste valeur.

La confiance est établie

Quelques années avant la mise en exploitation, GNPJVC demande à EDF de prendre en charge les premières années de l’exploitation. EDF enverra une soixantaine d’exploitants pour démarrer la centrale et former les équipes chinoises. Après quelques années, il ne restera que quelques agents d’EDF en position de conseil.

En 1995, alors que Daya Bay démarre, le gouvernement chinois autorise GNPJVC, devenue CGNPC (China Guangdong Nuclear Power Co), à engager une deuxième centrale sur le même site avec les mêmes acteurs. Si EDF garde un rôle d’assistance technique et si les entreprises françaises participent à sa construction, Ling Ao sera une centrale chinoise, construite sous la responsabilité chinoise par des entreprises chinoises.

La Chine a acquis son autonomie

Cela n’empêche pas une coopération étroite entre exploitants français et chinois :

échange d’expérience, partage de pièces de rechange, soutien en cas d’incidents... Daya Bay participe au concours de performance des centrales françaises et y obtient régulièrement un premier prix ! Cette coopération se poursuit aujourd’hui entre les exploitants des 58 réacteurs français et des 26 (bientôt 36) réacteurs chinois de même technologie.

En 2004, en même temps qu’un appel d’offre international, la Chine lance un programme de « duplication » des modèles existants : plus de 30 réacteurs du modèle Daya Bay seront construits. CGNPC se voit autorisée à sortir du Guangdong et est rebaptisée CGN (China General Nuclear).

Quelques semaines après l’attribution de l’appel d’offre à Westinghouse en décembre 2006, CGN invite la France à construire deux réacteurs EPR sur le site de Taishan et EDF à investir à ses côtés.

L’accord est signé pour les cinquante ans de vie de la centrale.

L’étape d’après sera l’engagement de CGN auprès d’EDF pour la construction et l’exploitation de deux EPR à Hinkley Point au Royaume-Uni, la perspective d’en construire deux autres à Sizewell et deux HPR, le modèle Hualong chinois, à Bradwell.

Ensemble pour un siècle

Le partenariat entre la France et la Chine culmine avec le voyage du Premier ministre Li Keqiang en France fin juin 2015. La déclaration conjointe sur l’approfondissement de la coopération franco-chinoise sur l’énergie nucléaire civile est rendue publique à l’occasion de sa visite. Elle prévoit une coopération globale « de la mine au retraitement », dans tous les domaines de l’exploitation, de la conception de nouveaux réacteurs de moyenne et grande puissance, de leur construction en Chine, en France et dans les pays tiers, de l’association des industriels des deux pays et de la réalisation d’une usine de retraitement en Chine. Toutes les entreprises françaises, à commencer par AREVA, Alstom, et la centaine d’entreprises de l’association Partenariat France Chine Electricité (PFCE) sont concernées par cet accord qui ouvre d’immenses perspectives.

La confiance est au zénith

L’alliance industrielle de la France, qui possède le plus important retour d’expérience d’exploitation du monde, et de la Chine, qui va construire le plus grand programme nucléaire de l’histoire, est un atout pour ces deux pays et au-delà, pour la sûreté et le progrès du nucléaire mondial.

Ce partenariat historique est l’illustration d’une Chine qui s’ouvre. Il est le fruit du travail d’hommes et de femmes qui ont mis leur foi dans des projets à construire ensemble et se sont donné leur confiance. Ils sont aujourd’hui liés par l’amitié.

* L’auteur est l’ancien directeur de la branche Asie-Pacifique du groupe Électricité de France.

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