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Une ville, un destin : l'innovation technologique

Par Cheng Yu et Lu Haoting(China Daily) 29-06-2018

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Une ville, un destin : l'innovation technologique

Démonstration par un artiste de la réalisation d'une peinture à l'aide de la technologie de la réalité virtuelle lors de la conférence mondiale sur les innovateurs à Shenzhen en septembre dernier. [Liang Xu/Xinhua]

Shenzhen intensifie ses efforts pour attirer des professionnels hautement qualifiés.

Par une nuit d'été, le 6 mai 1979, un groupe de plus de 200 jeunes originaires du village de Nanling s'élancèrent dans une traversée frénétique de la rivière Shenzhen dans l'espoir de commencer une nouvelle vie à Hong Kong.

Ce sont plus de 500 villageois de Nanling qui ont quitté leur foyer pour Hong Kong entre 1956 et 1979 en raison de la pauvreté. Fuyant un lieu où le revenu annuel par habitant était inférieur à 100 yuan (13 euros), ils risquaient leur vie en traversant le fleuve pour rejoindre une ville où les gens gagnaient à l'époque plus de 10 000 yuan par an.

Mais quatre décennies plus tard, au lieu de la fuite, c'est le retour en masse. Nanling s'est urbanisé pour devenir l'un des villages les plus prospères du pays. Les villageois se partagent la propriété collective d'un parc industriel hébergeant plus de 40 entreprises, en plus de nombreux immeubles de bureaux, de centres commerciaux et d'hôtels. En tant qu'actionnaire, chaque villageois perçoit une prime annuelle de plus de 150 000 yuan.

C'est une histoire qui s'est répétée dans d'autres villages d'agriculteurs ou de pêcheurs dans l'agglomération de Shenzhen, en bordure de Hong Kong au sud. La transformation qui les a fait passer de la misère à la richesse est intervenue à la suite de la politique de réforme et d'ouverture annoncée en 1978 par la Chine continentale, qui a fait de Shenzhen l'une de ses premières zones économiques spéciales. Ces dernières ont bénéficié de mesures économiques plus axées sur le marché et plus souples, destinées à attirer les investissements étrangers.

En tête de l'application des réformes et de l'ouverture, la ville a d'abord dépendu des activités commerciales qu'elle traitait principalement pour Hong Kong. Après avoir connu une croissance économique de près de 40% par an entre les années 1980 et le début des années 1990, elle a progressivement orienté ses efforts vers les secteurs d'activité à forte valeur ajoutée, tels que l'informatique, la biotechnologie, les nouveaux matériaux et la fabrication de matériel haut de gamme, un tournant en grande partie dicté par des ressources foncières limitées et des coûts de main d'œuvre en hausse. Elle attire aujourd'hui des start-up technologiques aussi bien que des sociétés high-tech telles que Huawei Technologies Co Ltd, Tencent Holdings Ltd et l'un des plus gros fabricants de drones au monde, DJI.

Mais comment Shenzhen peut-elle continuer à faire la course en tête au cours des prochaines décennies ?

« Quand d'autres concurrents cherchent à prendre la tête, il faut penser en dehors des sentiers battus », estime Wang Weizhong, secrétaire du Parti à Shenzhen. « Nous ne devons pas nous concentrer seulement sur les 1 997 kilomètres carrés de Shenzhen. Il nous faut adopter une vision plus large ».

Il est certain que les autorités locales visent à faire de Shenzhen un moteur central, tant en ce qui concerne l'innovation technologique que le soutien financier pour entraîner le développement de la Région de la Baie Guangdong-Hong Kong-Macao, avec pour objectif la mutation de la ville en centre d'innovation technologique mondial à l'horizon 2035.

La Région de la Baie s'inscrit dans le plan majeur du gouvernement central relatif à un développement régional coordonné, le long de la zone Pékin-Tianjin-Hebei et de la Ceinture économique du Yangtsé. La Baie, constituée de 11 villes et régions représentant une population d'ensemble de 67 millions d'habitants, a généré l'an dernier un produit intérieur brut (PIB) de plus de 1,5 billions de dollars (1,28 billions d'euros), surpassant ainsi celui de la Baie de San Francisco et dépassant celui de la Russie.

En fait, l'ambition de Shenzhen est l'illustration parfaite de la transformation du pays qui est passé d'un état de sous-développement économique il y a quatre décennies au statut de deuxième économie mondiale grâce à sa politique d'ouverture. L'avantage qu'elle a tiré de l'ouverture fait que la Chine joue un rôle de plus en plus important dans la gouvernance mondiale et qu'elle est attachée à la réalisation d'une économie mondiale ouverte ainsi qu'à la recherche d'un développement partagé avec les autres pays.

En vue d'une position en première ligne du développement technologique, Shenzhen intensifie ses efforts pour attirer des professionnels hautement qualifiés, sur le marché intérieur et à l'étranger, et la ville fournit un appui financier aux jeunes pousses spécialisées dans la technologie.

L'Initiative Peacock, par exemple, est un programme lancé en 2011 pour attirer dans la ville des professionnels de haut niveau. Dans le cadre de cette mesure, toute équipe se consacrant à la réalisation de percées scientifiques se voit attribuer une enveloppe allant jusqu'à 100 millions de yuan.

Cette année, Shenzhen a promis de construire 10 laboratoires qui seront dirigés par des scientifiques lauréats du Prix Nobel en vue de produire des avancées dans des domaines tels que la chimie, la médecine, la photo-électricité, le graphène, la micro et nanotechnologie, la robotique et la télécommunication 5G. Parmi les lauréats du Nobel que la ville a attirés figurent Robert Grubbs, Shuji Nakamura et Barry Marshall qui sont des pionniers dans les secteurs de l'énergie, des matériaux, de l'optique et de la médecine.

« L'esprit d'innovation est profondément enraciné à Shenzhen », affirme Shen Jianbo, cofondateur et directeur général de Smart Dynamics Co Ltd, une jeune pousse spécialisée dans la conception et la mise au point de robots de service. « C'est une ville dynamique où la moindre idée peut rapidement se transformer et où l'on peut simplement se concentrer sur l'innovation technologique elle-même sans trop se préoccuper de quoi que ce soit d'autre ».

M. Shen a fondé sa société à Shenzhen en 2015 avec quelques amis qui avaient quitté des emplois pourtant convenables. « Outre un appui financier, les autorités locales nous ont offert, à nous et à nos familles, des mesures incitatives allant du logement aux soins médicaux. De quoi d'autre aurait-on pu se préoccuper ? »

En plus de ses efforts pour attirer des professionnels qualifiés, la ville investit lourdement dans l'innovation en encourageant les investissements providentiels. « La Silicon Valley aux États-Unis et Israël sont devenus des centres d'innovation internationaux pour une raison importante, à savoir leur capacité d'attirer beaucoup d'investissements providentiels », explique M. Wang.

« Mais Shenzhen manque d'investissements providentiels, bien que l'on compte ici près de 50 000 sociétés et instituts de capital-risque et de capital-investissement ».

Pour remédier à la situation, la municipalité a créé cette année un fonds de fonds de 5 milliards de yuan centré sur les investissements providentiels. Un fonds de fonds est une stratégie d'investissement consistant à détenir un portefeuille de fonds d'investissement autres plutôt que d'investir directement dans des titres individuels.

« À l'origine, l'innovation nécessite beaucoup de patience et beaucoup d'investissements », souligne M. Wang, qui a exercé les fonctions de vice-ministre des sciences et de la technologie de 2010 à 2014. « Ce n'est pas quelque chose qui vous procurera un retour visible dans l'immédiat. Mais vous devez avoir une vision à long terme et faire les premiers pas. Le plus tôt, le mieux c'est ».

En matière de développement des activités high-tech, le prospère village de Nanling a hâte de prendre le train en marche. Début mai, il a créé un fonds de fonds de 500 millions de yuan provenant de ses revenus collectifs pour investir dans des start-up spécialisées dans des domaines d'activités stratégiques et naissantes, tels que la télécommunication 5G, la conception et la fabrication des puces électroniques, les sciences de l'intelligence artificielle et de la vie.

« Nous réfléchissons à ce qui pourrait être notre prochaine chance de développement, compte tenu des limites de nos ressources foncières et de l'augmentation des coûts de main d'œuvre », confie Zhang Yubiao, secrétaire du Parti et natif du village de Nanling. « Quand tout le monde se précipite dans la quête d'un meilleur développement, je voudrais pouvoir enlever mes chaussures pour courir encore plus vite ».

Et de conclure : « En prenant soin des jeunes entreprises, j'espère qu'un jour je pourrai emmener mes compagnons villageois sonner la cloche marquant l'ouverture d'un marché boursier ».

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