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Quand la Chine éclairait l’Occident…

Par Zhao Xu(China Daily) 30-03-2018

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Quand la Chine éclairait l’Occident…

La carte du monde représentée en peinture par Matteo Ricci pendant son séjour en Chine. [Provided to China Daily]

Les comptes rendus que faisaient du pays les missionnaires jésuites à l’intention de leurs instances ont eu une profonde influence dans les cercles intellectuels européens.

En 1658, Martino Martini, un missionnaire jésuite italien qui avait séjourné en Chine, a publié à Munich l’un de ses quatre livres marquants sur le pays. Dans Sinicae Historiae Decas Prima, il relate l’histoire de la Chine depuis l’antiquité jusqu’à l’an 1 avant notre ère, année qui correspond au règne de l’empereur Aidi de la dynastie des Han occidentaux (206 avant notre ère-an 24 de notre ère).

S’efforçant d’incorporer l’histoire de la Chine dans le système et la représentation chronologique de l’histoire européenne, et animé par le souci de convertir les gens, Martini n’avait pas calculé l’impact que ses travaux auraient sur les intellectuels occidentaux.

« Cela contredit, voire compromet la Bible », estime Zhang Xiping, un des grands spécialistes des échanges culturels entre la Chine et l’Occident.

« S’il reconnaît Fuxi comme le premier empereur de la Chine des origines, Martini a aussi noté que l’arrivée au pouvoir de Fuxi se situait 600 ans avant que l’arche de Noé ne soit sauvée par Dieu des eaux qui engloutissaient la planète, selon l’Ancien Testament. Et il est devenu apparent que la naissance de Jésus, dont la plupart des spécialistes aujourd’hui sont convaincus qu’elle se situe autour du premier siècle, faisait écho à la dynastie des Han occidentaux, une époque marquée par un développement social rapide et une culture florissante », élabore M. Zhang.

Voltaire, qui a joué un rôle central dans l’avènement des Lumières au 18ème siècle, aurait été profondément impressionné – et choqué – par le livre de Martini. « Et si ce qu’a écrit Martini était vrai ? », aurait-il dit. « Alors, que dois-je faire de la Bible ? ». La réponse à cette question a indéniablement demandé une éternité à Voltaire et ses successeurs.

Selon M. Zhang, nombre des missionnaires jésuites venus en Chine entre les 16ème et 18ème siècles devinrent ensuite ce qu’on appellerait aujourd’hui des « donneurs de coups de main » sur la Chine, chargés de faire découvrir – ou d’une certaine façon redécouvrir – l’ancien pays de l’Orient à leurs contemporains occidentaux.

Mais avant cela, la plupart d’entre eux devaient réconcilier ce qui était placé directement sous leurs propres yeux avec l’idée qu’ils s’en étaient faite précédemment. « Jusqu’à la seconde guerre de l’opium (1856-60), où la Chine avait subi une défaite humiliante aux mains des troupes anglo-françaises, le pays représentait un tiers du produit intérieur brut total du globe », dit M. Zhang.

« Quand le premier contingent de missionnaires jésuites est arrivé à la fin du 16ème siècle, la Chine connaissait l’abondance et la prospérité, elle était parvenue à maturité sous l’orientation de ses propres traditions et avec l’aide de sa philosophie sous-jacente. L’Occident, de son côté, était encore aux prises avec la Renaissance et la Réforme, les mouvements culturels, politiques et religieux qui allaient finir par ouvrir la voie aux temps modernes. Scientifiquement, la Chine a pu prendre du retard au début ; mais dans les domaines culturel et économique, elle a clairement manifesté son avantage ».

Certains missionnaires ont pu eux-mêmes avoir des moments de doute, suppute M. Zhang. « Ils fréquentaient des membres de la haute société chinoise qui se vêtaient d’étoffes luxueuses et voyageaient dans des berlines magnifiquement décorées. C’était là une expérience totalement différente de celle que rencontraient les explorateurs occidentaux dans d’autres parties du monde, en Amérique par exemple. Et qui renvoyait ces missionnaires à la question suivante : ‘Comment se fait-il qu’un lieu qui a complètement échappé au message de Dieu soit bénit d’une telle abondance et d’une telle prospérité ?’. Une telle expérience, qui constitue une leçon d’humilité à bien des égards, doit avoir contribué à la souplesse dont ils ont plus tard fait preuve dans leur travail de missionnaires ».

Matteo Ricci, dont on pense qu’il a été le premier missionnaire jésuite à avoir mis les pieds à Pékin, la capitale depuis les 300 années précédentes, a autorisé ses convertis chinois à poursuivre la tradition de leur culte ancestral. Tout chrétiens qu’ils étaient devenus, ils pouvaient continuer à s’agenouiller devant leurs parents, leurs empereurs et, évidemment, leurs ancêtres.

« Ricci et ses confrères jésuites partageant le même point de vue tentèrent de persuader le Vatican qu’une telle tolérance était conforme à la doctrine de l’Église, puisque la génuflexion et la pratique du culte relevaient du domaine de la tradition par opposition à la religion », explique M. Zhang.

À l’époque, alors que les voyages entre l’Europe et la Chine étaient périlleux au point de se traduire souvent par une ou deux victimes mortelles, la plupart des missionnaires jésuites choisissaient de transmettre par écrit ce qu’ils voyaient et entendaient. Un bon nombre d’entre eux traduisaient aussi des textes, faisant ainsi connaître les ouvrages classiques de Confucius – les Entretiens de Confucius ou les Paroles de Confucius par exemple – aux intellectuels occidentaux. La publication en Europe de textes savants comme de textes populaires sur la Chine écrits par ces missionnaires eurent des effets à la fois voulus et non voulus, selon M. Zhang.

« Ils étaient principalement incités à écrire sur la Chine par leur propre besoin de voir leur mission continuer de bénéficier du soutien des autorités centrales de l’Église grâce à l’image favorable qu’ils donnaient de leurs activités. C’était d’une importance absolue, compte tenu des controverses et des débats que les arrangements pratiqués par les Jésuites avaient suscités chez leurs détracteurs conservateurs, qui finirent par porter l’affaire devant le Vatican.

« Dans quelle mesure leurs publications eurent-elles un effet de persuasion ? », s’interroge M. Zhang en conclusion. « C’est difficile à dire. Mais elles ont réellement ouvert une fenêtre pour ceux qui cherchaient des réponses à la question de savoir comment donner une nouvelle jeunesse à leur société, comment la libérer et comment se libérer eux-mêmes ».

Quand la Chine éclairait l’Occident…

De gauche à droite : la pierre tombale de Matteo Ricci sur le campus de l’institut administratif de Pékin. Zhang Xiping, un spécialiste des échanges culturels entre la Chine et l’Occident. Le philosophe chinois Confucius. [Photos provided to China Daily]

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