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Des annales gravées dans la nuit des temps

Par Wang Kaihao(China Daily) 23-02-2018

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Des annales gravées dans la nuit des temps

Hu Huiping (à gauche) et Zhao Aixue travaillent comme chercheurs à plein temps à la bibliothèque nationale de Chine, où ils gèrent la plus grande collection d’os d’oracle au monde. [Jiang Dong/China Daily]

Le Registre de la Mémoire du monde de l’UNESCO recense des inscriptions oraculaires sur des ossements qui constituent les plus anciens caractères chinois connus.

Quand le Président Xi Jinping s’est entretenu le 8 novembre avec son homologue américain Donald Trump au Musée du Palais, autrement dit à la Cité interdite à Pékin, il lui a dit que « la Chine [avait] une histoire de 3 000 ans écrite en caractères chinois ».

Les plus anciens caractères connus auxquels M. Xi faisait allusion ont été inscrits sur des ossements utilisés pour les oracles, principalement des écailles de carapace de tortue et des omoplates de bovins, et servaient d’instruments d’archivage ou de divination sous la dynastie Shang (du 16ème siècle environ, jusqu’au 11ème avant notre ère). En novembre, les inscriptions ont été répertoriées dans le programme Registre de la Mémoire du monde de l’UNESCO.

« Obtenir que l’essentiel de la culture chinoise traditionnel soit offert à la compréhension et promu dans le monde marque une étape importante », commente Du Yue, l’un des directeurs de la Commission nationale chinoise pour l’UNESCO. « C’est désormais un trésor spirituel partagé par l’humanité ».

Song Zhenhao, historien et membre du comité des acamédiciens de l’académie chinoise des sciences sociales, est affirmatif : « les inscriptions oraculaires sur les ossements ont la même origine que le système d’écriture utilisé aujourd’hui et sont les ancêtres des caractères chinois ». M. Song a été le principal universitaire à mener campagne pour l’intégration des os d’oracle (ou écriture ossécaille) dans le Registre de la Mémoire du monde de l’UNESCO. « L’étude des inscriptions nous aidera à comprendre les origines de la philosophie et de la pensée chinoises ; elle nous aidera à déterminer d’où vient notre culture traditionnelle », indique-t-il.

Selon lui, on a identifié environ 4 400 caractères individuels parmi ceux qui ont été employés dans les inscriptions, et près de 1 800 d’entre eux sont encore reconnaissables. Ce nombre grossit d’ailleurs au fur et à mesure que la recherche avance, précise M. Song qui a récemment repéré des douzaines de nouveaux caractères au cours d’un voyage d’étude au musée du Shandong situé à Jinan et au musée de Lushun à Dalian, dans la province du Liaoning.

« De nombreux caractères ont disparu et nous ne parvenons pas à leur trouver un équivalent dans l’actuel système d’écriture chinois », explique-t-il à propos des difficultés rencontrées. « Les caractères non reconnaissables renvoient principalement à des noms de personnes, de lieux ou à des formes de rites sacrificiels. Au fur et à mesure qu’augmente le nombre de détenteurs d’os d’oracle qui se mettent à rendre public leur inventaire, la recherche s’accélère ».

Hu Huiping, chercheuse à la bibliothèque nationale de Chine à Pékin, tempère : « le succès de notre candidature (auprès de l’UNESCO) nous a enchantés, mais le travail au jour le jour n’a pas vraiment changé ». Elle passe ses journées à rechercher, étudier et répertorier les os d’oracle.

Bien que son diplôme universitaire date de 15 ans, cette spécialiste de 41 ans avoue, dans son petit bureau à la bibliothèque de Pékin, qu’elle a encore l’impression d’être une étudiante confinée dans une salle d’étude.

« C’est un boulot où l’on ne bouge guère de son banc froid. Il faut de la patience et de l’abnégation pour surmonter la solitude ». Et d’expliquer : « Je cherche à comprendre en quoi consistait la période de la dynastie Shang, mais en ces 15 dernières années, je n’ai pu mettre au jour qu’un faible aperçu de ce qu’était la vie à cette époque ».

Quand elle a mis les pieds pour la première fois dans le magasin abritant les os d’oracle, dans le sous-sol de la bibliothèque, elle s’est retrouvée face à une immense collection alors qu’aucun catalogage systématique n’avait été mis en place. « J’ai commencé à les répertorier depuis l’os n° 00001 », dit-elle non sans fierté. « Il reste maintenant moins de 10 000 articles sur ma liste d’attente ».

La bibliothèque dit abriter 35 651 os d’oracle individuels, ce qui en fait la plus grande réserve mondiale de ces précieux documents. « C’est bien plus compliqué que le catalogage d’un livre. Pour un seul morceau d’os, il faut feuilleter des tas de dossier pour s’assurer que la note explicative, la datation, l’usage et le contexte culturels ont bien été enregistrés. C’est beaucoup de travail », souligne Hu Huiping.

En 2011, un de ses collègues, Zhao Aixue, l’a rejointe et ils restent les deux seuls chercheurs se consacrant à plein temps au catalogage des os d’oracle de la bibliothèque.

Le statut de ces os a été rehaussé ces dernières années, indique M. Zhao. « Pendant longtemps, on les a classés comme reliques culturelles plutôt que comme documents, ce qui a sous-évalué leur importance en tant qu’histoire écrite ». Au terme de nombreux débats universitaires, en 2013, les os d’oracle ont été pour la première fois intégrés à la grande liste des anciens livres et documents nationaux essentiels.

Il existe environ 150 000 os d’oracle individuels dans le monde, selon M. Song. Ce sont environ 93 000 éléments provenant de 11 institutions en Chine continentale, notamment la bibliothèque nationale de Chine, l’académie chinoise des sciences sociales et le Musée du Palais qui ont été intégrés au Registre de la Mémoire du monde de l’UNESCO. L’Academia Sinica à Taïwan est un autre établissement majeur abritant les os recensés.

Les images d’environ 3 800 fragments d’os d’oracle et de 7 000 frottements d’encre réalisés sur des os ont été téléchargées sur le site Web de la bibliothèque nationale de Chine à l’usage du public, fait observer Zhao Aixue.

Les chercheurs sont aujourd’hui confrontés au problème de savoir comment attirer plus de spécialistes. « L’étude des inscriptions sur os d’oracle est quasiment devenue un art en voie de disparition », dit Song Zhenhao, qui travaillait souvent avec 20 autres universitaires sur divers projets dans les années 1980 ; lors d’un récent projet de recherche dans le Shandong, il n’en avait que trois avec lui.

En décembre, Guan Qiang, directeur adjoint de l’administration centrale du patrimoine culturel, a déclaré que la préservation des inscriptions sur les os d’oracle et les études auxquelles elles donnent lieu seraient renforcées pour leur éviter le sort d’un « art en voie de disparition ».

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